2 - P. Alberto Vaccari, sj
Les six pages de l'avis d'Alberto Vaccari (pp. 49-55), qui interviennent tardivement dans le dossier, ne sont pas le fondement de l'avis négatif du Saint-Office, il était déjà arrêté depuis 1946, mais il en est la justification a posteriori. Cependant cet argumentaire sera le pilier de l'opposition à Maria Valtorta.
Vaccari étudie "l'œuvre volumineuse" en deux mois (25 novembre 1948 - 26 janvier 1949) et conclut que cette œuvre ne valait rien ("zéro"). Il avoue, dans son texte, qu'il n'a pas lu l'œuvre "dans son intégralité, en profondeur, sauf quelques parties." (p 55). Il indique aussi avoir fondé son jugement sur des résumés.
À la lecture de cet avis, et au vu de la façon dont il traite l'œuvre, on ne peut que lui attribuer un article virulent paru le 1er juillet 1961 dans la revue jésuite de référence; la Civiltà cattolica (cahier 2665, page 37). Contrairement à l'usage, l'article est anonyme et commente la parution de la seconde édition de l'œuvre de Maria Valtorta15.
Ce commentaire, sans doute commandité par "une autorité vaticane", pensait-on, informe que "Maria Valtorta est une pauvre illuminée à l'imagination galopante et affectée de logorrhée." Quant à la deuxième édition, elle reste, selon l'auteur, "placée dans une catégorie bien connue de maladie mentale, et les ajouts de la deuxième édition ne changent pas la nature de l'Œuvre, qui reste un monument de puérilité, d'imagination et d'erreurs historiques et exégétiques diluées dans une atmosphère subtilement sensuelle par la présence d'un essaim de femmes à la suite de Jésus. En somme, un monument de pseudo-religiosité." Cet emportement verbal très inhabituel pour la revue, donna lieu à un courrier de la part de l'éditeur, Emilio Pisani (11 juillet 1961). Par la suite la revue jésuite se montra plus modérée, allant même jusqu'à réprimander un livre outrageusement injurieux envers l'œuvre de Maria Valtorta16.
Alberto Vaccari versus Gabriele Allegra
Un autre exégète, tout aussi réputé17 que le P. Vaccari, ne mettra pas deux mois, mais deux ans et demi à étudier l'œuvre de Maria Valtorta : c'est le Bienheureux Gabriele Allegra. Il conclura que cette œuvre "produisant de bons fruits dans un nombre toujours croissant de lecteurs, je pense que cela vient de l'Esprit de Jésus"18.
Il mit non seulement beaucoup plus de temps à examiner l'œuvre que le P. Vaccari, mais il documenta son étude par de nombreuses références. Il conclût à son "harmonie historique et doctrinale" et sa conviction que "ce chef-d'œuvre de la littérature religieuse italienne, et peut-être devrais-je dire, de la littérature chrétienne mondiale" requiert "une origine supra-naturelle."19 Il a été béatifié dans la dernière année du pontificat de Benoît XVI comme une autre "promotrice" de l'œuvre de Maria Valtorta: la Bienheureuse Mère Maria Inès du Très Saint-Sacrement.
Commentaires sur les charges portées contre l'œuvre de Maria Valtorta
Si on ôte les jugements subjectifs qui agitaient manifestement le P. Vaccari, on retiendra quelques objections qui n'ont pas été traitées dans le paragraphe consacré à Alexis Maillard ou qui seront repris dans l'article de l'Osservatore romano (O.R.)
Une des accusations du P. Vaccari (pp. 50-51) est la primauté de Pierre (Matthieu, 16,13-20) qu'il pense être attaquée par les écrits de Maria Valtorta. Ce qu'il suppose à la lecture d'un résumé de l'œuvre qu'il découvre. Selon lui, cette annonce qui fera dire à Jésus "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église" se trouve amputée de sa force par l'annonce prolixe de Jésus qui, très tôt et tout au long de sa vie publique, se proclame Messie Fils de Dieu, selon Maria Valtorta.
Cette charge est reprise dans l'O.R. du 6/1/60 "Jésus est loquace à l'extrême, en véritable publicitaire, toujours prêt à se proclamer Messie et Fils de Dieu et à faire des exposés de théologie dans les termes mêmes qu'emploierait un professeur de nos jours"
Que le Jésus de Maria Valtorta fasse des exposés de théologie conformes n'est que logique puisque cette science se fonde sur ce qu'il a historiquement dit20. Mais qu'en est-il de ce "rapt de primauté" ?
C'est Dieu le Père lui-même qui au Baptême de Jésus, au tout début de la vie publique annonce publiquement (et donc aux premiers apôtres): "Tu es mon Fils bien-aimé" (Matthieu 3,17 | Marc 1,11 | Luc 3,22).
Bien avant Pierre, Nathanaël s'exclame: "Rabbi, c'est toi le Fils de Dieu ! C'est toi le roi d'Israël !" (Jean 1,49). Sans compter les apôtres qui emploient, dès le commencement, à l'encontre de Jésus, des périphrases pertinentes : Agneau de Dieu, Celui qui était annoncé, ...
Et surtout, selon l'Évangile, Jésus se proclame Fils de Dieu de notoriété publique (Jean 10,36-37), ce sera même le motif de sa condamnation (Jean 5,18). Mais il s'en réserve l'exclusivité (Matthieu 16,20 | Marc 8,30 | Luc 9,21) tant que la Rédemption n'est pas accomplie. Maria Valtorta développe donc des visions en parfait accord avec l'Évangile, ce qui est sa caractéristique21.
Le trouble excessif
C'est un sujet moins théologique qui braque Vaccari, et pas que lui car il est rejoint en cela par G. Pepe : l'évocation de la nudité.
C'est le cas de la Belle de Chorazeïn, une femme aux mœurs légères qui devenue âgée et lépreuse est rejetée de tous. Affamée, elle n'est couverte que "d'un lambeau de toile, un morceau de voile déchirée" jetée par l'apôtre André qui a pitié de sa nudité. Elle se plonge dans le lac à l'invitation de Jésus et en sort nue et guérie. Cette guérison, qui n'est pas sans rappeler celle de Naaman le Syrien22, choque Vaccari.
L'O. R. de 1960 ne reprend pas cet exemple mais en pointe un autre susceptible, écrit-il, de troubler les pensionnats de jeunes filles : "une danse exécutée, certainement pas d'une façon pudique, devant Pilate, dans le Prétoire (EMV 604.26). Une scène qui "pourrait facilement tomber entre les mains de religieuses et des étudiantes de leurs collèges. Dans ce cas, la lecture de passages de ce genre... pourrait difficilement être faite sans danger ou dommage sur le plan spirituel." Maria Valtorta s'attarde-t-elle à des descriptions licencieuses ? Qu'on en juge: "des danseuses entrent... couvertes de rien. Une frange multicolore de lin ceint pour unique vêtement leur mince personne de la ceinture aux hanches. Rien d'autre. Bronzées parce que africaines, souples comme de jeunes gazelles, elles commencent une danse silencieuse et lascive". Une telle danse, exécutée par Salomé avait troublé Hérode Antipas23.
G. Pepe n'est pas en reste de trouble, et plusieurs fois, devant la simple évocation de la nudité. Mais Dieu nous a créés nus et innocents. L'Évangile mentionne des personnages nus24. La nudité n'est pas perversion pour le médecin, l'infirmier, l'artiste, ... ni la semi-nudité sur la plage. Seules les pensées qu'elles provoquent sont choquantes et inquiétantes. "Tout est pur pour le pur" dit St Paul (Tite 1,15-16).
À cela se joint une misogynie assumée dans l'article de la Civiltà cattolica cité plus haut: "une atmosphère subtilement sensuelle par la présence d'un essaim de femmes à la suite de Jésus". La présence de femmes disciples à la suite de Jésus, pourtant attestée par l'Evangile25, suffit à créer une atmosphère "sensuelle".
Ce fort trouble provoqué par la simple évocation de la nudité et la misogynie semblent accréditer le récit de la Vèn. Luigia Sinapi. Venant, au début de 1950, apostropher au nom de Jésus le Saint-Office sur le blocage de l'œuvre de Maria Valtorta, elle fut menacée de violences physiques (viol).
L'article de l'Osservatore romano
Au lieu de relier cette mise à l'Index clairement au décret du 17 février 1949 qui était supposé, selon la thèse d'A. M., condamner Maria Valtorta, l'article se montre moins précis, plus diffus, et parle "des souvenirs d'il y a environ une dizaine d'années".
Parle-t-il des erreurs doctrinales ou de l'absence d'origine divine ? Non : il évoque et n'accuse pas. C'est une publication sans autorisation en 1949 qui est pointée : "alors que circulaient certains textes dactylographiés volumineux, qui contenaient de prétendues visions et révélations. On sait qu'alors l'autorité ecclésiastique compétente avait défendu l'impression de ces textes dactylographiés et avait ordonné qu'ils soient retirés de la circulation".
Qu'on ne se trompe pas sur l'emploi du mot "prétendue" qu'emploi aussi le communiqué du Dicastère (2025). Dans le langage officiel de l'Eglise, cela désigne une vision ou une révélation qui se revendique comme telle, pas forcément une affirmation outrageusement prétentieuse.
L'article de l'O. R., anonyme, semble directement inspiré du rapport Vaccari rédigé 10 ans auparavant. Apparemment il n'y a pas eu d'enquête approfondie supplémentaire car la thèse d'une œuvre écrite en sous-main par les Servites est sous-jacente au point que l'article mentionne par trois fois la haute valeur théologique de l'œuvre croyant montrer que le Saint-Office n'est pas dupe.
Faute d'avoir pu relever la moindre erreur doctrinale formelle, le Saint-Office se contente de signaler quatre opinions jugées seulement non conventionnelles.
En 1959, il ne reste plus, comme appui à la mise à l'Index, que le défaut d'imprimatur et "l'indiscipline grave". Ni l’un ni l’autre ne concernent l'œuvre, mais ses promoteurs. Des "graves" accusations de 1949, il ne reste rien. Rien qu'une procédure disciplinaire bientôt abolie et que le dernier décret du Dicastère (2025) ne cite même plus.