Contradiction n° 2 : sur la croix, Notre-Seigneur ne cesse d'appeler « Maman ! » et elle de répondre : « Oui, mon trésor, je suis ici »
Voici le passage en question souligné par les Dominicains.
Il [Le Christ] se retire, s'affaisse, s'effondre.
Tout le poids de son corps retombe sur ses pieds, en avant. Ce sont les extrémités blessées qui subissent l'atroce souffrance de s'ouvrir sous le poids d'un corps qui s'abandonne. Plus un mouvement ne saurait soulager cette douleur. Depuis le bassin jusqu'en haut, tout est détaché du bois et reste ainsi.
La tête de Jésus pend en avant si pesamment que le cou paraît creusé en trois endroits : à la gorge, complètement enfoncée, et de part et d'autre du sterno-cléido-mastoïdien. Sa respiration est de plus en plus haletante et entrecoupée. C'est déjà plus un râle syncopé qu'une respiration. De temps à autre, un accès de toux pénible fait monter sur ses lèvres une écume légèrement rosée. Les intervalles entre deux expirations deviennent toujours plus longs. L'abdomen est déjà immobile. Seul le thorax se soulève encore, mais avec beaucoup de difficulté... La paralysie pulmonaire s'accentue.
Alors, à la manière d'un enfant qui se plaint, Jésus appelle :
« Maman ! »
Et la malheureuse murmure :
« Oui, mon trésor, je suis là. »
Et quand sa vue qui se voile fait dire à Jésus : " Maman, où es-tu ? Je ne te vois plus. Toi aussi tu m'abandonnes ? " ce n'est même plus une parole, c'est un murmure, à peine audible pour celui qui recueille avec le cœur plutôt qu'avec l'ouïe tous les soupirs du Mourant.
Elle dit :
« Non, non, mon Fils ! Moi je ne t'abandonne pas ! Écoute-moi, mon chéri... Maman est ici, elle est ici... et son seul tourment est de ne pas pouvoir venir là où tu es... »
C'est un déchirement... Jean pleure sans retenue. Je suppose que Jésus entend ses sanglots, mais il ne dit rien. Je pense que la mort imminente le fait parler comme s'il délirait ; il ne doit même pas savoir ce qu'il dit et, malheureusement, il ne comprend pas le réconfort de sa Mère et l'amour de son disciple bien-aimé (EMV 609).
Nous ne comprenons pas vraiment pourquoi ce comportement semble inconvenant de la part de Jésus et de Marie, ni pourquoi il s'agirait d'une potentielle contradiction avec l'Évangile.
Quand on est crucifié, torturé sur le bois de la Croix, quand on est insulté et moqué par son peuple, quand on est presque nu comme un ver, quand on voit qu'on se partage ses vêtements, n'a-t-on pas besoin de réconfort ? Quand on est le Rédempteur du monde, quand on a le poids de tous les péchés des hommes sur les épaules, quand on vit l'abandon de Dieu -- un abandon terrible, qui provoque l'agonie de l'âme, puisqu'elle se trouve séparée de son Seigneur --, ne désire-t-on pas trouver au moins une lueur d'amour en ces heures de ténèbres ? Et qui peut prétendre : « Je n'aurai besoin de personne à l'heure de ma mort ? »
Un enfant, fût-il le Fils de Dieu et le Sauveur des hommes, doit normalement toujours trouver consolation auprès de sa mère. La Mère aime le Fils, et le Fils aime celle qui l'a porté d'un amour de prédilection. Durant la Passion, seul le Cœur de Marie comprit entièrement le Cœur de Jésus, et seule la Torturée fut la plus fidèle parmi les apôtres et les disciples. Marie surpasse tout le monde, même Jean et Marie-Madeleine qui furent sur le Golgotha.
Jésus sait qu'elle est présente. Et il est vrai que, sachant cela, il pourrait se taire et garder le silence. Mais nous défions quiconque qui soit soumis à la torture de ne pas trouver doux le nom de « Maman » aux heures où tous nos amis et toute notre famille semblent nous avoir abandonné. Peut-on vraiment reprocher à Jésus de l'appeler ? Il nous semble que non.
Et il nous semble tout autant inconcevable de reprocher à Marie de lui répondre. Quand la chair de sa chair subit le martyre -- un martyre injuste et cruel, même si conforme à la Volonté de Dieu --, notre seul désir est le soutenir et le consoler. La Mère du genre humain ne peut rien faire d'autre que lui assurer sa présence et son amour. Elle ne se rebelle pas contre le sort de son Fils, elle qui comprend mieux que personne les Écritures, mais ça n'empêche pas son cœur d'être torturé, meurtri, transpercé et ça ne l'empêche pas de vouloir apporter de la douceur à son enfant. « Oui, mon trésor, je suis là », affirme-t-elle. Eh quoi ? Une mère de notre époque ne répondrait pas la même chose ? Pourquoi vouloir faire de Marie une figure silencieuse au pied de la Croix ? Elle est l'âme contemplative par excellence, mais elle sait parler quand il le faut. Dans ce chapitre, son cœur de Mère parle. Il nous semble qu'on ne peut pas lui intenter un procès sous le simple prétexte qu'elle veut consoler Jésus sur le bois de la Croix.