17 Février 1949 : Pie XII s’oppose au projet de condamnation de l’Œuvre

Cet entremêlement de stratégies trouve son épilogue provisoire dans le décret du 17 février qui acte des décisions conservatoires mais surtout qui acte le rejet, par Pie XII de la condamnation de l'œuvre de Maria Valtorta qu'il juge "excessive ou superflue" selon les mots employés par G. Pepe.

Une Notification est en effet un acte officiel figurant dans les "Actes du Saint-Siège (AAS)". Ainsi, c'est une Notification qui actera en 1966 la suppression de l’Index des livres interdits.

Quelle est cette notification que Pie XII rejette? Elle est mentionnée au point n° 2 des décisions du 14 février (p. 47): "Que soit publiée l'interdiction de la publication de l'œuvre parce que l'Autorité Ecclésiastique y a trouvé des erreurs et qu'il n'y rien de surnaturel dans ces visions."

Pie XII marque ici un acte d'autorité, même habillé de rondeur diplomatique dans les mots (excessive, superflue). Ne sont retenues par le Pape contre la proposition du Saint-Office, ni l'interdiction de publier, ni l'accusation d'erreurs, ni la négation de l'origine divine que Pie XII avait laissée au libre-arbitre personnel,

Cette désapprobation est confirmée par la suite des faits: même si, selon G. Pepe, cette condamnation devenait licite en cas de désobéissance (p. 48), il ne s'est rien passé lors de la publication de l'œuvre en 1956, ce qui aurait constitué une "désobéissance" grave si Pie XII avait vraiment condamné l'œuvre. Le Saint-Office était pourtant au courant puisqu'il pointe ce tome dans l'article de L'O.R. Rien non plus en 1957, ni en 1958 à la sortie des tomes suivants. Il faudra attendre la mort de Pie XII pour que le Saint-Office passe à l'action.

Sous Pie XII il y a donc eu refus explicite de la condamnation de Maria Valtorta et absence de sanction pour sa publication répétée.

Les autres mesures qu'expose le relevé de décision du 14 février ne doivent donc être comprises que comme des mesures conservatoires prises devant une impasse: Les promoteurs n'avaient pas réussi à mobiliser les fonds nécessaires et n'avaient de quoi éditer que les premiers tomes (p. 40). L'initiative n'est pas soutenue par l'auteure (Maria Valtorta): "ce plan était injuste envers Dieu et envers moi" écrit-elle (Lettres à Mère Teresa Maria, Tome 2, p. 191).

Les vues humaines sur l'œuvre de Dieu

À l'écoute de ce qu'on lui rapporte, Maria Valtorta note que la motivation du décret n'était pas l'œuvre en elle-même, mais le fait qu'elle ait été publiée et promue avant l'approbation du Saint-Office. Les motifs d'opposition étaient, selon ce qu'on lui rapporte, l'attitude du P. Migliorini fourvoyé dans le soutien de mystiques douteuses et l'imprimatur de Mgr Barneschi inhabituel (Lettres à Mère Teresa Maria, Tome 2, p. 202).

Motivations humaines et jeux de pouvoir s'affrontaient donc autour d'une œuvre divine. Maria Valtorta confie sa grande douleur à Mgr Carinci. Mais le Ciel, qui sait tout d'avance, avait demandé à ce que les originaux des révélations et une copie dactylographiée restent à Viareggio9. Ils étaient la propriété inaliénable de Maria Valtorta. De même Pie XII a su séparer l'essentiel (l'œuvre) de l'épisodique (les tentatives des Servites de n'en faire qu'un succès de librairie).

Du côté du Saint-Office, il faut noter qu'en 1949, G. Pepe soupçonnait les Servites d'avoir écrit en sous-main l'œuvre de Maria Valtorta (p. 41). Dix ans après cette thèse est encore sous-jacente dans l'article de l'O.R. au point que le P. Roschini l'évoquera dans son ouvrage10, preuve que le Saint-Office n'a pas vraiment enquêté sur Maria Valtorta.

Dans la suite du pontificat de Pie XII, mort en octobre 1958, les confrontations se joueront dans les couloirs. En début de 1950, la Vénérable Luigia Sinapi, sur révélation de Jésus, viendra interpeller Saint-Office sur son blocage de l'œuvre. Elle sera accueillie par des menaces verbales et physiques. En début de 1952, Mgr Carinci recueillera des témoignages en faveur de l’œuvre. Puis viennent les éditions dont nous avons parlé. Rien ne bougera vraiment jusqu'à la mise à l'Index en décembre 1959. Quatre ans plus tard, le 8 novembre 1963, le Saint-Office est remis publiquement en cause par l'assemblée conciliaire (commission J. Frings). En décembre 1965, il est officiellement aboli (Motu proprio Integrae Servandae) par celui-là même qui avait été le proche collaborateur de Pie XII. Le 14 juin 1966, l'abolition de l’Index laisse place à "l'avertissement moral" et à la "conscience mûre des fidèles". Ce que le Catéchisme de l’Eglise catholique codifiera dans son article 67: "Guidé par le Magistère de l'Église, le sens des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ces révélations constitue un appel authentique du Christ ou de ses saints à l'Église."

"Savoir discerner" voilà ce que tentent Alexis Maillard et d'autres non pour accueillir ce qui est authentique, ce que demandent l'Écriture et le Magistère11, mais pour rejeter ce qui ne l'est pas. Quelle est donc la valeur de ce discernement négatif ?

Notes de bas de page

9 Les Cahiers de 1945 à 1950, 12 juillet 1946, p. 269.
10 La Madonna negli scritti di Maria Valtorta (La Vierge Marie dans les écrits de Maria Valtorta), réédition de 2021, p. 27. Ce livre a été envoyé en 1973/74 au Pape Paul VI qui l’en remercia.
11 Rappelé par le cardinal J. Ratzinger dans ses commentaires théologiques (en fin de document) sur le 3ème secret de Fatima : "La plus ancienne lettre de saint Paul qui nous a été conservée, le texte qui, dans l'absolu, est peut-être le plus ancien du Nouveau Testament, la première lettre aux Thessaloniciens, me semble donner une indication. L'Apôtre y écrit: « N'éteignez pas l'Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose, ce qui est bien, gardez-le » (5, 19-21). À toutes les époques est donné à l'Église le charisme de prophétie, qui doit être examiné, mais qui ne peut être déprécié. À ce sujet, il convient de tenir compte du fait que la prophétie, au sens biblique, ne signifie pas prédire l'avenir, mais expliquer la volonté de Dieu pour le présent, et donc montrer la voie droite vers l'avenir."