Contradiction n° 5 : Jésus fait une plaisanterie malsonnante et choquante
Remise en contexte (EMV 191 à 199)
Selon les Dominicains, le Christ fait une plaisanterie malsonnante et choquante dans l'EMV. Nous allons citer ce passage, mais avant tout, nous voulons contextualiser et mettre en avant les chapitres précédents. Pour cela, il nous faut parler d'un personnage central : Marziam.
Celui-ci est un enfant, un orphelin qui a perdu ses parents lors d'un écoulement de boue. Il a été recueilli par son grand-père, mais ce dernier ne peut s'occuper de lui. Le vieil homme est en effet maltraité par un pharisien, Doras, et il est entièrement pris par son travail. Le garçon est condamné à se débrouiller tout seul, et il est finalement recueilli par le groupe apostolique.
Dans l'œuvre de Maria Valtorta, Pierre a un grand désir : celui d'être père. Il n'a en effet pas pu avoir d'enfant avec son épouse, Porphyrée. Il demande bien à Jésus un jour si celui-ci peut rendre tous les couples fertiles, mais le Christ lui répond alors : « Je ne le fais que là où je vois qu'un fils pourrait pousser à se sanctifier. Où il serait un obstacle, je ne le fais pas » (EMV 104.5). Quand Jésus recueille Marziam, le désir de Pierre d'avoir un fils à lui se réveille et il demande :
« Mais... à qui veux-tu le donner ? demande Pierre en tirant Jésus par la manche. À Lazare, lui aussi ?
-- Non, Simon. Mais il y en a tant qui n'ont pas d'enfants...
-- Il y a moi aussi... »
Le visage de Pierre paraît maigrir sous l'effet du désir. (EMV 191.4)
Il n'y a pas à s'étonner de cette demande légitime. D'abord, le groupe apostolique rencontre assez fréquemment des enfants abandonnés, desquels Jésus prend soin. Il les confie alors à des disciples de confiance. Ensuite, les Pierre est un homme, simplement un homme qui a une vie de famille et qui n'a pas d'enfant. Comme le célibat n'est pas encore installé dans l'Église (qui n'est pas encore créée), l'apôtre ne voit pas de mal à adopter un orphelin malheureux.
Mais la réponse de Jésus est sans appel :
« Simon, je te l'ai dit : tu dois être le "père" de tous les enfants que je te laisserai en héritage, mais tu ne dois pas avoir la chaîne d'un fils à toi. N'en sois pas blessé. Tu es trop nécessaire au Maître pour que le Maître puisse te séparer de lui à cause d'une affection. Je suis exigeant, Simon. Je suis exigeant plus que l'époux le plus jaloux. Je t'aime d'un amour de prédilection et je te veux tout entier pour moi et à moi.
-- C'est bon, Seigneur... C'est bon... Qu'il soit fait comme tu le veux. »
Cette adhésion à la volonté de Jésus est héroïque pour le pauvre Pierre.
« Ce sera l'enfant de mon Église naissante. D'accord ? Il sera à tous et à personne. Ce sera "notre" petit enfant. Il nous suivra quand les distances le permettront, sinon il nous rejoindra. Ses tuteurs seront les bergers, eux qui aiment dans tous les enfants "leur" enfant Jésus » (EMV 191.4).
Jésus refuse donc que son apôtre obtienne l'enfant. Alors ce dernier utilise la seule faiblesse du Seigneur : Marie. Celle-ci doit accompagner l'apôtre pour acheter un vêtement à l'enfant. « Le Maître me l'a promis, et il a dit que j'irai avec sa Mère l'acheter demain », explique Simon de Jonas à Lazare et à d'autres, car il craint qu'on ne lui ravisse cette entrevue avec Marie. Alors Jésus sourit, accède à sa requête, et déclare : « Oui, Mère. Je te prie d'accompagner Simon, demain. Sinon, cet homme va mourir d'angoisse. Tu le conseilleras pour le choix » (EMV 198.6).
La plaisanterie de Jésus, dénoncée par les Dominicains, a lieu lorsque Marie et Pierre reviennent du marché. Ils ont bien acheté le vêtement pour Marziam. A présent, « Pierre fait les cent pas dans le sentier, levant très souvent la tête vers la terrasse où sont assis, parlant ensemble, Jésus et Marie » (EMV 199.7). Ceux-ci discutent justement de Simon de Jonas et il nous semble opportun de replacer l'ensemble de leur conversation. Jésus dit ainsi :
« Oui, Pierre est très bon. Pour lui, je ferais n'importe quoi parce qu'il le mérite.
-- S'il t'entendait, il dirait avec son bon sourire franc : "Ah ! Seigneur, ce n'est pas vrai !" Et il aurait raison.
-- Pourquoi, Mère ? »
Mais Jésus sourit déjà car il a compris.
« Parce que tu ne lui fais pas le plaisir de lui donner un fils. Il m'a confié tous ses espoirs, tous ses désirs... et tous tes refus.
-- Et il ne t'a pas dit la raison qui les justifie ?
-- Si. Il me l'a confiée, et il a ajouté : "C'est vrai... mais je suis un homme, un pauvre homme. Jésus s'obstine à voir en moi un grand homme. Mais je sais que je suis très mesquin et, à cause de cela... il pourrait me donner un fils. Je me suis marié pour cela... je vais mourir sans en avoir." Pierre me montrait l'enfant qui, heureux du beau vêtement que Pierre lui avait acheté, l'avait embrassé en l'appelant : "mon père que j'aime" et il m'a confié : "Tu vois, quand ce petit être, qu'il y a dix jours je ne connaissais pas encore, me parle comme cela, je me sens devenir plus tendre que le beurre et plus doux que le miel, et je pleure, car... chaque jour qui passe éloigne de moi cet enfant..." »
Marie se tait, et elle observe Jésus, étudiant sa physionomie, attendant une parole...Mais Jésus a mis son coude sur son genou, sa tête appuyée sur sa main et il regarde l'étendue verte du verger.
Marie lui prend la main, la caresse et dit :
« Simon a ce grand désir... Pendant que je marchais avec lui, il n'a pas cessé de m'en parler, et avec des raisons si justes que... je n'ai rien pu dire pour le faire taire. C'étaient les mêmes raisons que nous invoquons toutes, nous les femmes et les mères. L'enfant n'est pas robuste. S'il avait été comme toi... ah ! Alors il aurait pu s'avancer sans crainte vers la vie de disciple. Mais qu'il est chétif !... Très intelligent, très bon... mais rien de plus. Quand un tourtereau est délicat, il ne peut prendre son envol tout de suite, comme le font les forts. Les bergers sont bons... mais ce sont toujours des hommes. Les enfants ont besoin des femmes. Pourquoi ne le laisses-tu pas à Simon ? Tant que tu lui refuses un enfant vraiment né de lui, j'en comprends la raison. Un petit, pour nous, c'est comme une ancre. Et Simon, destiné à un si grand rôle, ne peut avoir d'ancres qui le retiennent. Néanmoins, tu dois convenir qu'il lui faut être le "père" de tous les enfants que tu lui laisseras. Comment peut-il être père s'il n'a pas été à l'école d'un enfant ? Un père doit être doux. Simon est bon, mais pas doux. C'est un impulsif et un intransigeant. Il n'y a qu'un enfant qui puisse lui enseigner l'art subtil de la compassion pour les faibles... Considère le sort de Simon... C'est bien ton successeur ! Oh ! Je dois pourtant le dire, ce mot atroce ! Mais, pour toute la souffrance qu'il m'en coûte pour le dire, écoute-moi. Jamais je ne te conseillerais quelque chose qui ne serait pas bon. Marziam... Tu veux en faire un parfait disciple... or c'est encore un enfant. Toi... tu t'en iras avant qu'il ne devienne un homme. Alors, à qui le confier plutôt qu'à Simon pour compléter sa formation ? Enfin, tu sais quelles tribulations ce pauvre Simon a subies, même à cause de toi, de la part de sa belle-mère ; et pourtant il n'a pas repris la plus petite parcelle de son passé, de sa liberté depuis un an, pour que sa belle-mère -- que même toi n'as pu changer -- le laisse en paix. Et sa pauvre épouse ? Ah ! Elle a un tel désir d'aimer et d'être aimée ! Sa mère ? Ah !... son mari ? Un cher autoritaire... Jamais la moindre affection qui lui soit donnée sans trop exiger... Pauvre femme !... Laisse-lui l'enfant. Écoute, mon Fils : pour le moment, nous l'emmenons avec nous. Je viendrai, moi aussi, en Judée. Tu m'y conduiras avec toi chez une de mes compagnes du Temple -- presque une parente puisqu'elle descend de David. Elle réside à Bet-çur. Je la reverrai volontiers si elle vit encore. Après cela, à notre retour en Galilée, nous le confierons à Porphyrée. Quand nous serons dans les environs de Bethsaïde, Pierre le prendra. Quand nous viendrons ici, au loin, l'enfant restera avec elle. Ah ! Mais tu souris maintenant ! Alors tu vas faire plaisir à ta Maman. Merci, mon Jésus.
-- Oui, qu'il soit fait comme tu le désires. » (EMV 199.8).
Pierre sait utiliser la parole maternelle pour faire fléchir Jésus. En vérité, il a bien compris que seuls Jean et Marie peuvent lui permettre d'assouvir sa curiosité24 ou d'obtenir des grâces de son Seigneur. Le Christ va donc demander à son apôtre de le rejoindre.
Jésus se lève et appelle d'une voix forte :
« Simon, fils de Jonas, viens ici ! »
Pierre sursaute et monte en vitesse l'escalier :
« Que veux-tu, Maître ?
-- Viens ici, usurpateur et corrupteur !
-- Moi ? Pourquoi ? Qu'ai-je fait Seigneur ?
-- Tu as corrompu ma Mère. C'est pour cela que tu voulais être seul. Qu'est-ce que je dois te faire ? »
Mais Jésus sourit et Pierre se rassure.
« Oh ! dit-il, tu m'as réellement fait peur ! Mais maintenant tu ris... Que veux-tu de moi, Maître ? Ma vie ? Je n'ai plus qu'elle puisque tu m'as tout pris... mais, si tu la veux, je te la donne.
-- Je ne veux pas t'enlever, mais te donner. Toutefois, n'abuse pas de ta victoire et n'en donne pas le secret à d'autres, homme rempli de fourberie qui triomphe du Maître par l'arme de la parole maternelle. Tu auras l'enfant, mais... »
Jésus ne peut continuer car Pierre, qui était à genoux, saute sur ses pieds et embrasse Jésus avec une impétuosité telle qu'il lui coupe la parole.
« C'est elle qu'il te faut remercier, pas moi. Mais rappelle-toi que cela doit être pour toi une aide, pas un obstacle...
-- Seigneur, tu n'auras pas à regretter ton don... Oh, Marie ! Sois toujours bénie, sainte et bonne... »
Et Pierre, qui est retombé à genoux, pleure réellement en baisant la main de Marie... (EMV 199.9).
Nous proposons d'abord de détailler cet extrait et d'exprimer notre point de vue. Puis, nous entamerons une réflexion sur base de quelques commentaires que nous avons trouvés sur internet, notamment sur le forum Maria Valtorta.
Un extrait problématique ? Lecture de l'extrait
Comme on le voit, Jésus interpelle Pierre, et on peut supposer que le Christ prend d'abord un ton de commandement lorsqu'il interpelle Simon. C'est un ordre, une convocation, si on veut, qui surprend son apôtre, puisque ce dernier sursaute. Et quand l'homme les rejoint, la plaisanterie de Jésus commence réellement.
« Viens ici, usurpateur et corrupteur ! », déclare le Seigneur, vraisemblablement sur le même ton qu'auparavant.
Usurpateur car il usurpe l'autorité du Maître, qui lui avait pourtant bien signifié qu'il ne voulait pas lui donner d'enfant.
Corrupteur parce qu'il a gagné Marie à sa cause, or Jésus ne peut rien faire face à l'arme de la parole maternelle. Il le précise d'ailleurs bien : « Tu as corrompu ma Mère [note de l'auteure : en la convainquant d'intercéder pour toi]. C'est pour cela que tu voulais être seul. Qu'est-ce que je dois te faire ? »
Selon nous, le ton que Jésus emploie n'est pas assassin. Il a un ton sévère quand il commande à son apôtre de le rejoindre, mais ce même ton est rapidement marqué par l'ombre d'un sourire quand il déclare que Pierre a corrompu sa mère. Cette corruption n'est pas celle du péché, et le futur Pontife n'a même pas troublé la sainteté ou la paix de Marie. Il s'agit plutôt de l'avoir mêlée aux affaires de son Fils et de lui faire prendre le parti de l'apôtre, comme elle le fera souvent au cours des siècles, car nous sommes tous ses enfants. En ce sens, nous pensons que Jésus n'est pas fâché : au contraire, sitôt après avoir convoqué Pierre, il nous semble plutôt que la joie perle déjà dans son âme, car Pierre a compris le pouvoir d'intercession de Marie. Simon de Jonas fait bien un arrêt cardiaque devant le ton de son Jésus, mais bientôt, celui-ci rit, ce qui rassure définitivement son disciple et dissipe toute tension ou malentendu.
Évidemment, le Christ reprend son sérieux et il déclare à Pierre que celui-ci aura l'enfant. On retrouve là la spontanéité habituelle du frère d'André, pour ceux qui connaissent bien L’Evangile tel qu’il m’a été révélé, car il exprime aussitôt sa reconnaissance à son Seigneur.
Une plaisanterie malsonnante et choquante ?
Est-ce une plaisanterie malsonnante et choquante ? Nous savons que chez certains lecteurs, ce passage ne les heurte pas le moins du monde. Chez d'autres, au contraire, cet extrait peut les mettre mal à l'aise, avec plus ou moins d'intensité. On suppose que ça dépend de la sensibilité de chacun. Selon notre point de vue, ce n'est pas une plaisanterie malsonnante. Nous allons expliquer pourquoi.
Rappelons d'abord que Pierre n'est pas tranquille alors que Marie et Jésus discutent. Il tourne en rond, fait les cent pas, jette de temps un temps un coup d'œil à son Maître et à sa Mère. Il a donc une attitude inquiète, parce qu'il sait que Marie intercède pour lui. Il a également conscience qu'il a utilisé des subterfuges pour obtenir Marziam : d'abord il a obtenu d'être seul avec Marie ; ensuite il a exprimé ses soucis et son désir à la Mère de Jésus ; enfin, il lui a vraisemblablement demandé d'en parler au Christ, sinon, il ne tournerait pas rond en faisant les cent pas pendant que le Verbe discute avec sa Mère. Pierre sait ainsi très bien ce qu'il fait en se confiant à Marie. Il n'est donc pas tranquille et réagit d'autant plus au quart de tour quand son Maître l'appelle. Il sursaute et accourt, alors même que Jésus prononce simplement son prénom. Ce détail signifie pour nous qu'il était aux aguets, mais surtout qu'il était déjà nerveux avant de commencer.
Jésus dit alors qu'il est « ursupateur et corrupteur ». Comme nous l'avons écrit sur le forum Maria Valtorta, « Jésus est la Sagesse éternelle, on peut donc penser qu'il ne dit rien vainement, et rien qui ne soit un mensonge, puisqu'il est la Vérité même. » Assurément, ses propos sont tranchants, mais comme nous l'avons déjà dit dans le point précédent, nous percevons selon nous déjà l'ombre d'un sourire, lorsque le Seigneur lui demande ce qu'il doit lui faire pour avoir corrompu sa Mère.
En contrepartie, Pierre est bouleversé quelques secondes. Précisons pour commencer qu'une âme qui n'a pas la paix, même pour des raisons légitimes, est toujours plus susceptible d'être bouleversée par de toutes petites choses. A plus forte raison, le disciple a bien des choses à se reprocher, en ayant tout fait pour obtenir l'enfant. Nous imaginons facilement que Pierre doit se figer aux paroles de Jésus, et qu'il ne doit pas se rendre compte de l'humour du Christ jusqu'à ce qu'il sourie. Tout simplement parce que, quand on est nerveux, on est plus à même à prendre tout au pied de la lettre, sans se rendre compte de l'humour de notre interlocuteur ou sans comprendre le vrai sens de ses paroles. A fortiori, on peut prendre des petites plaisanteries pour la vérité même.
A présent, est-ce qu'on peut reprocher à l'Homme-Dieu d'avoir agi de la sorte avec son Vicaire ? Pierre va quand même contre les plans de son Maître, qui souhaite qu'il n'ait pas d'enfants, afin qu'il soit tout entier à sa mission. Simon de Jonas le sait (il le lui a demandé dans l'EMV 191), et pourtant, il va quand même trouver Marie. Jésus peut être clément, car son Église naissante n'est pas encore pleinement établie et le célibat n'a pas encore été déterminé pour les prêtres. Mais il n'en reste pas moins que Pierre va quand même contre les plans initiaux de son Seigneur, qui sait heureusement tirer un bien de toute chose. Est-ce que cela justifie l'admonestation de Jésus ? Pour nous, elle est acceptable, car aussitôt après son interpellation, Jésus rit et sourit. Cela amène donc de la douceur à leur dialogue. D'une part, cela rassure l'apôtre, mais d'autre part, cela montre aussi la joie du Christ, qui ne regrette pas qu'il ait découvert « l'arme de la parole maternelle ».
Il faut donc, selon nous, remettre les choses dans leur contexte : oui, Jésus bouscule Pierre, oui, celui-ci sursaute et a vraiment eu peur face aux paroles du Maître. Mais tout de suite après, Jésus sourit, son ton s'adoucit, et il lui déclare qu'il obtiendra l'enfant. Son apôtre obtient donc Marziam et la « corruption » de sa Mère n'en est pas vraiment une : ce sont plutôt ses prières qui sont merveilleusement mises en avant dans ce chapitre. A nos yeux, cet épisode montre avant tout l'extraordinaire pouvoir d'intercession de Marie, qui sait faire céder Jésus quand nous lui demandons des grâces particulières25.